Véritables vecteurs d’influences, les territoires que nous parcourons, habitons et explorons modifient notre rapport au temps et à l’espace. Le paysage, de par son caractère pluriel, inspire et fascine; il est à la fois force d’attraction vive et d’impulsion. Abordé ici comme matière et comme espace vécu, il permet d’instiguer réflexions et création, et se déploie tel un vaste territoire où les artistes y entretiennent des liens étroits avec la nature. Que ce soit lors de la cueillette de la matière ou de la réalisation des œuvres, les artistes témoignent de l’influence formelle tout autant que sensorielle du territoire investi. De ces rencontres singulières découlent des œuvres où les paysages construits, reproduits ou artificialisés élaborent et offrent de nouvelles pistes de lecture des éléments naturels.
Voir loin est une invitation à renouveler notre expérience du paysage par des propositions d’artistes et de médiums pluriels – sculpture, estampe, installation, peinture, vidéo et dessin. De la délicatesse du bourgeon naissant à l’immensité des eaux, en passant par la poésie de la lumière, les artistes offrent à voir une nature réappropriée et réinventée. À l’heure où de grandes réflexions écologiques et environnementales sont enclenchées, il nous est apparu essentiel, voire urgent, de célébrer les paysages et leur caractère grandiose. Par cette exposition, nous vous convions à laisser dériver votre regard dans les détails infimes tout autant qu’au bout de l’horizon; nous vous invitons à voir loin. À voir mieux.
Ce corpus alliant peinture et photographie a été réalisé lors d’une résidence de création au Kamouraska en mai 2018. Pendant plus d’une semaine, Laurence Belzile a déambulé sans itinéraire fixe, avec la volonté d’aller quotidiennement à la rencontre d’un nouveau lieu à explorer. Parcourant ce vaste territoire, de son fleuve à ses forêts, l’artiste a élaboré des dizaines de petites œuvres picturales à même le paysage.
Se déployant en deux parties distinctes par les médiums utilisés, Ces lieux où l’on fait trace propose une rencontre entre Belzile et le territoire. Plus qu’un simple outil de documentation dans ce projet, la photographie permet d’abord la contextualisation des œuvres. Elle affirme la position précise et concrète de l’artiste avec l’espace environnant lors de la création. Les œuvres picturales, quant à elles, attestent d’une interaction avec le paysage. Leur réalisation a agi comme une interposition lors du contact de l’artiste avec le territoire, modelant alors sa perception même du lieu investi. Belzile a ainsi créé ses œuvres, non pas avec le souci d’en faire la représentation, mais plutôt pour témoigner d’une expérience vécue. Les œuvres qui en découlent agissent, une fois présentées, comme les traces d’un dialogue intime avec les espaces parcourus; elles offrent ainsi à voir l’évolution d’une relation peu commune, mais concrète, entre l’artiste et des paysages devenus lieux de création.
À travers la mise en espace, Belzile propose une multitude de connexions entre les œuvres, où la lecture de l’une complète l’autre; leurs composantes s’associant pour en modifier leur perception. La compréhension de chaque œuvre se situe bien au-delà de ses propres limites. Ce décloisonnement forme ainsi un environnement complexe aux lectures diverses, à l’image d’un territoire qui se compose et se construit à travers ses multiples éléments naturels.
Biographie de l'artiste
Artiste bas-laurentienne, Laurence Belzile détient un baccalauréat en arts visuels de l’Université Concordia avec une majeure en peinture et dessin. Elle complète présentement une maîtrise en arts visuels à l’Université Laval. À travers son travail artistique, elle réalise des œuvres qui investiguent la manière dont notre corps perçoit et ressent les objets et l’espace autour de soi. Leurs particularités, soit leur forme, leur couleur, leur texture ainsi que leur disposition spatiale, deviennent une source d’inspiration première chez l’artiste. Depuis 2013, cette jeune artiste a présenté son travail dans plus d’une vingtaine d’expositions autant collectives qu’individuelles au Bas-St-Laurent, à Québec ainsi qu’à Montréal.
Le travail pluridisciplinaire de Camille Bernard-Gravel s’articule autour de phénomènes communs, tels que la réflexion de l’eau, le mouvement de l’air ou encore le mirage. Ses œuvres parviennent à détourner la perception traditionnelle du paysage, en portant l’attention sur des forces discrètes de la nature.
Grâce à l’utilisation de dispositifs ingénieux, de surfaces réfléchissantes judicieusement choisies, et de stratégies de prises de vue, l’artiste dévoile une nature complexe en soulignant la manifestation d’éléments qui échappent généralement au regard. Des rapprochements inattendus sont créés entre le paysage et l’image abstraite, le réel et le virtuel, l’industriel et l’organique, transportant l’observateur au-delà des matérialités et des phénomènes reproduits. Ce dernier est alors laissé dans un état contemplatif, comparable au moment de détente qu’impose un regard attentif face à la nature parsemée de mouvances lumineuses et ondulatoires.
Samares
Composée principalement d’une simple feuille de Mylar découpée au laser, Samares laisse délicatement retomber une multitude de semences d’érable, encore attachée à la surface réfléchissante par un mince pédoncule. S’étendant sur la longueur, l’œuvre propose un contact inattendu avec ces formes typiques des forêts québécoises, qui virevoltent sous la brise des ventilateurs. Ce cinétisme élémentaire produit un effet ondulatoire, rappelant le mouvement réel des éléments naturels visibles dans les vidéos qui complètent le corpus.
Neige sur mer
Par un habile jeu de glissement perpétuel entre l’image de la réalité et celle d’un téléviseur sans signal, Neige sur mer place l’observateur dans une temporalité trouble. La surface envoûtante et miroitante de l’eau laisse tantôt le spectateur devant une apparence de neige télévisuelle, tantôt en présence d’un bateau, repositionnant le phénomène de réflexion dans son contexte réel. L’œuvre vidéo affirme le mouvement de la lumière sur la surface houleuse de la mer et déjoue adroitement l’appréhension du réel, appuyant tour à tour la présence du téléviseur et celle de l’environnement méditerranéen.
Zénith (Perote)
Réalisée dans le contexte d’une résidence de création au Mexique en 2016, Zénith (Perote) présente une intégration sculpturale à même le paysage. Au premier regard, le grand rectangle pixélisé semble avoir été ajouté par manipulation technologique. Il s’agit toutefois d’une illusion d’optique obtenue par l’amalgame d’un effet de mirage, d’un jeu lumineux et d’une distance de captation précise. Concrètement, l’environnement naturel plat et aride accueille une structure métallique monumentale de 10 pieds de haut par 49 pieds de large. Les rayons du soleil ayant un peu passé son zénith créent une alternance horizontale d’ombre et de lumière sur l’assemblage de tôles ondulées. La présence du bétail errant devant le rectangle énigmatique procure un indice par rapport à l’échelle et la nature tangible du mur. Se jouant des perceptions, cette vidéo provoque, dans l’esprit du spectateur, une oscillation continuelle entre l’idée d’un rectangle créé numériquement et l’existence réelle d’un énorme objet posé dans le paysage.
Biographie de l'artiste
Originaire de la ville de Québec, Camille Bernard-Gravel se distingue depuis quelques années sur la scène artistique nationale et internationale. Cette jeune artiste s’inscrit dans une démarche pluridisciplinaire combinant la sculpture, la vidéo et l’installation. Ses œuvres ont été présentées lors d’expositions individuelles au Canada et en Amérique du Sud, et lors d’expositions collectives au Québec, en France, en Thaïlande, au Mexique et aux États-Unis. Au cours des dernières années, elle a pris part à plusieurs évènements internationaux tels que Québec Digital Art in New York (2015), la Biennale internationale d’art numérique de Montréal (2016), le Symposium international d’art contemporain de Baie-Saint-Paul (2016) et le Mois Multi (2018). Elle est également récipiendaire de nombreux prix et bourses, entre autres décernés par le Conseil des arts du Canada, le Conseil des arts et des lettres du Québec, la mesure Première Ovation ainsi que la Fondation René-Richard.
Par des sculptures à mi-chemin entre l’objet naturel trouvé et le modelage, Marie-France Bourbeau sonde la symbiose entre l’humain et la nature. Collectionnant branches, racines et troncs de toutes sortes, elle conserve, lors de la création, ce qu’elles ont de particulier à offrir en laissant intact une certaine partie du matériau. Inspirée des formes improbables qui s’en distinguent déjà, l’artiste intègre l’aspect brut du bois à la partie corporelle façonnée dans l’argile. Ainsi, le caractère expressif des éléments récoltés dans la nature se réactualise dans la formation de sculptures dessinant l’être humain dans toute sa présence.
À travers ce corpus, Bourbeau propose une cohésion entre l’humain et son territoire; elle y suggère l’enracinement de l’être à son environnement. Dans les sculptures, les corps apparaissent et renaissent dans la matière grâce aux parties plus figuratives. De par leurs imposantes structures longilignes, ils semblent chercher l’horizon dans un espace lointain. Dans la série des Géants, la représentation de l’être humain s’évanouit à certains moments pour laisser place à l’ampleur formelle des sculptures, dont l’ensemble rappelle la forêt. Par ces créatures hybrides, Bourbeau propose une similarité entre l’être humain et l’arbre en établissant des correspondances dans leurs besoins essentiels, tels que l’alimentation, l’hydratation, l’apport en lumière et en oxygène. Les sculptures s’élèvent ainsi comme des ombres pour modeler un étrange environnement. Certaines sculptures de dimensions plus petites, dispersées dans l’ensemble, s’insèrent dans la vision de cet écosystème singulier.
Les œuvres à la fois fragiles et monumentales envahissent l’espace du sol autant qu’aérien. Flottantes, les Éthérées accaparent le champ supérieur de la vision pour offrir une lecture délicate de cette association entre l’homme et les éléments naturels. Incursion inusitée dans une nature aux formes humanoïdes, ce corpus de Bourbeau engage à voir au-delà de la conformité qui compose le paysage.
Biographie de l'artiste
En relation avec l’environnement naturel qu’elle parcourt quotidiennement, Marie-France Bourbeau y puise une source d’inspiration constante. Ses œuvres dénotent également une étroite influence des arts premiers et des mythes anciens. Détentrice d'un baccalauréat en arts plastiques de l'Université du Québec à Montréal et d'une licence en arts plastiques de l’Université d’Aix-en-Provence en France, l’artiste a de plus suivi une formation en céramique au Centre Bonsecours de Montréal. Au cours des dernières années, elle a participé à de nombreux évènements collaboratifs et expositions au Québec autant qu’à l’étranger, dont K[o]llaboration, à Kamouraska en 2017, ainsi que la foire internationale d’art contemporain Art FairMàlaga’17 en Espagne.
Fascinée par le paysage à la fois grandiose et sauvage, Lorraine Dagenais réalise des œuvres qui s’en inspirent et se déploient à travers de vastes installations spatiales. Par celles-ci, l’artiste étudie la singularité de l’ordre harmonieux de la nature autant que la particularité de ses formes concrètes, et en offre une lecture intime.
Par la suggestion d’éléments naturels qui symbolisent des états de passage – le bourgeon, la fleur et la feuille – Dagenais s’inspire de leurs qualités formelles. À travers des assemblages alliant sculpture sur bois, peinture et dessin, l’artificiel rencontre le naturel dans un ensemble harmonieux. Dagenais explore ainsi les particularités intrinsèques des médiums qu’elle privilégie pour créer des œuvres qui se dévoilent dans l’espace.
Bien au-delà de la simple matérialité, les œuvres présentées se réunissent pour offrir un paysage fragmenté qui investit la surface du mur. Par une disposition sérielle et fractionnée, leur configuration spatiale est inspirée de suites géométriques présentes dans le monde naturel, tels que la suite de Fibonacci, les spirales logarithmiques et d’Archimède. L’artiste utilise ces corrélations mathématiques pour témoigner de la complexité de l’harmonie naturelle.
Aussi, à travers une dispersion contrôlée, les fragments s’exposent pour envahir les surfaces murales. Ils se déploient pour suggérer un vaste paysage nocturne, imaginaire et presque impénétrable. Ils positionnent ainsi le spectateur dans un espace qui parait découler d’une construction humaine tout autant que naturelle. La Nature est un temple laisse le regard dériver dans un univers déployé qui submerge par sa présence et son mouvement bien au-delà de ses dimensions concrètes.
Biographie de l'artiste
Détentrice d’une maîtrise en arts visuels de l’Université du Québec à Montréal, Lorraine Dagenais est active dans le milieu artistique québécois depuis les années 1980. Son travail se déploie principalement à travers la peinture, la sculpture, le dessin et l’installation.
Elle compte à son actif plusieurs expositions individuelles autant sur la scène nationale qu’internationale. Elle a également pris part à plus d’une centaine d’expositions collectives au Québec tout autant qu’à l’étranger, notamment en Bulgarie, en Chine, en Espagne, au Mexique, aux États-Unis et en Suisse. Ses œuvres font partie de plus d’une vingtaine de collections privées et publiques, tels que Loto-Québec, Pratt and Whitney Canada et la Bibliothèque nationale de France. Elle est également récipiendaire de nombreuses bourses, dont celles remises par le Conseil des arts et des lettres du Québec, ainsi que par le Conseil des arts du Canada.
Ces composantes géographiques dont Miguel Forest s’inspire dans ce corpus parsèment le territoire kamouraskois. Créant d’imposants contrastes au travers des plaines cultivées, le cabouron – ou monadnock – s’y élève dans toutes ses rondeurs. Maintes fois parcouru et dessiné par l’artiste, Forest propose une nouvelle lecture de cette source d’inspiration récurrente.
Réalisé en deux moments distincts, ce projet installatif combine l’estampe et la sculpture. D’abord, situés au centre de la salle, les bas-reliefs ayant servi de matrice à la réalisation des estampes sont intégrés à la sculpture. Grâce à un miroir posé sur la surface du dispositif, les formes sculpturales s’élèvent autant qu’elles se reflètent, rappelant ces îles qui tapissent le fleuve. La mise en espace suggère une correspondance entre les œuvres bidimensionnelles et la structure centrale.
À travers ce territoire présenté s’esquissant par des formes simples, Forest propose une juxtaposition de visions qui situe le spectateur dans une approche multiple du paysage. Délaissant le point de vue fixe du paysage traditionnel, l’artiste offre un corpus à caractère pluridimensionnel, où s’enchevêtrent des données spatiales tout autant que visuelles. Variant les assemblages de ses estampes, l’artiste réinvente et s’inspire des formes naturelles pour créer des œuvres uniques et divergentes de ce paysage qui l’habite. Par l’accumulation, réalisable en raison du procédé utilisé, les cabourons s’insèrent et apparaissent à plusieurs reprises dans les œuvres présentées. Forest les utilise comme un élément de base qu’il dispose dans un tout, pour ensuite aller au-delà du simple côté formel de la représentation. Pour créer des liens avec le territoire réel, l’horizon des estampes se prolonge jusqu’à celui que l’on distingue à l’extérieur de la salle. Îles et Cabourons transporte ainsi le spectateur à la frontière d’un paysage réinventé et du territoire kamouraskois.
Biographie de l'artiste
Originaire de Repentigny, Miguel Forest vit et travaille à Sainte-Hélène-de-Kamouraska. À travers la création, il s’intéresse particulièrement aux liens que l’être humain entretient avec son territoire. Il recherche également dans la nature les traces du temps qui passe, qu’il utilise comme pistes de réflexion dans son travail artistique. Depuis 1995, il a réalisé plus d’une quinzaine d’expositions individuelles et participé à une quarantaine d’expositions collectives. Cet artiste bas-laurentien a notamment présenté en 2017 L’esprit des lieux au Musée du Bas-St-Laurent et Regard croisé en 2010 au Centre d’art de Kamouraska. Ses œuvres font partie de plusieurs collections publiques, dont celle du Musée régional de Kamouraska.
[i]Tiré de Correspondance de Charles Beaudelaire