GÉOGRAPHIES DE LA LENTEUR
Commissaire : Franck Michel
Coordonnatrice du colloque : Thuy Aurélie Nguyen
Artistes et auteurs invités : Patrick Beaulieu, Pierre Blache, Ève De Garie-Lamanque, Jean Désy, Anne-René Hotte, Steve Leroux, Thuy Aurélie Nguyen, Louis Perreault et Bruno Santerre.
Crédit: Louis Perreault
Au cours des dernières années, la lenteur est devenue un concept à la mode, prenant des formes diverses (slow food, slow cities, slow management, méditation, journée de la lenteur). Les experts en marketing tentent de profiter de la manne devant ce besoin de plus en plus présent de ralentir dans une société dirigée et obnubilée par la vitesse et la performance. Devant ce fourretout, il nous semble important, voire essentiel, de revenir à une véritable idée de lenteur loin des préceptes à la mode, en réunissant des artistes pour qui la lenteur est un véritable axe de recherche et définit leur démarche et dans certains cas, leur mode de vie.
D’emblée, deux questions se posent auxquelles la Rencontre photographique du Kamouraska cherche à esquisser quelques réponses : que veut dire le concept de lenteur aujourd’hui? Comment représenter la lenteur?
En photographie, l’idée de lenteur peut être présente à plusieurs niveaux : dans le sujet, dans le procédé technique et dans la démarche. À ses débuts, nous aurions pu dire que la lenteur faisait partie intégrante de la pratique photographique que ce soit au niveau de la prise de vue, du développement du négatif ou de l’impression. Avec son évolution technique, la photographie est passée d’un médium lent à un médium de plus en plus rapide pour atteindre les « performances » que nous connaissons aujourd’hui. L’histoire technique de la photographie s’avère ainsi une course à la vitesse. Paradoxalement, dans son procédé argentique et encore plus avec l’utilisation de procédés anciens, elle continue de participer au temps lent qui est celui de l’émulsion et de son révélateur, du temps de l’attente qui fait que l’image est latente avant d’être révélée.
Aborder la photographie par le thème de la lenteur est bien entendu un hommage à cette histoire du médium, mais aussi l’occasion de réunir plusieurs artistes dont la lenteur apparaît explicitement et/ou consciemment dans leur pratique. Ces artistes portent sur le monde un regard attentif et patient. Ils prennent le temps d’observer le réel, de s’en imprégner, de se créer une posture douce, souvent contemplative, par rapport à celui-ci.
Corolaires de la lenteur, le paysage et la marche sont, en quelque sorte, des dénominateurs communs du travail de ces artistes. Photographier ou filmer le paysage, qu’il soit sauvage, rural ou urbain, c’est aussi en faire l’expérience, le vivre, le parcourir, le ressentir, s’y confronter, interagir avec lui. Comme le note l’anthropologue Barbara Bender : « […] les paysages ne sont pas seulement des «vues», mais des rencontres personnelles. Ils ne sont pas simplement vus, mais éprouvés avec tous les sens». Cette conception du paysage comme un espace sensoriel, d’expérience et de rencontres implique une temporalité lente et passe nécessairement par la marche, la déambulation, l’errance, voire l’attente.
Les artistes réunis ici nous parlent tous dans des registres cependant fort différents de cette expérience du paysage et nous obligent en regardant leurs œuvres à ralentir pour mieux observer et être dans le présent mais aussi dans la mémoire, car comme l’écrit Milan Kundera : «Le degré de la lenteur est directement proportionnel à l’intensité de la mémoire, le degré de la vitesse à l’intensité de l’oubli. »
La 8e édition de la Rencontre photographique du Kamouraska convie ainsi le visiteur à stopper sa course effrénée quotidienne, à ralentir le pas et la pensée pour contempler, comprendre et observer l’expérience de la lenteur.